Méconnaissance, mauvaise organisation et… craintes genrées… les freins à l’utilisation et au déploiement des défibrillateurs sont encore trop nombreux
Les freins à l’utilisation efficace des défibrillateurs sont nombreux mais faciles à desserrer.
La connaissance de ces freins doit guider les membres de la commission du Conseil d’Etat et les représentants des divers ministères qui ont participé à la rédaction de la loi du 28 juin 2018 imposant la présence de défibrillateurs dans les ERP, Etablissements Recevant du Public.
En effet, ces représentants planchent actuellement sur les décrets d’application de la loi. Imposer à certains ERP de s’équiper est très bien. Le faire intelligemment et mettre en place les mesures afin de rendre l’équipement fiable, localisable et utilisable par tous en aidant à surmonter les freins importants à son utilisation est autrement mieux.
Des études américaines vient rajouter d’autres freins à l’utilisation des défibrillateurs
Ainsi, le symposium organisé par l’AHA (American Heart Association ou Association américaine pour le cœur), début novembre 2018 à Chicago, a permis de publier deux études mettant en évidence que les femmes sont beaucoup moins susceptibles que les hommes de bénéficier d’un massage cardiaque en cas d’arrêt cardiaque. Mais d’autres freins non genrés sont beaucoup plus importants. Les voici.
Des défibrillateurs achetés et installés en dépit du bon sens
Il ne faut pas aller très loin dans l’observation du déploiement des défibrillateurs pour se rendre compte que la plupart de ces équipements, pourtant destinés à sauver des vies dans un environnement d’urgence absolue, sont souvent installés en dépit du bon sens.
De la naïveté à l’abus de confiance…
En effet, comme rapporté par d’innombrables acteurs des urgences, placer un défibrillateur dans un coffret avec un sigle « DAE » ou « Défibrillateur » en pensant qu’il servira un jour et que des vies seront sauvées, relève au mieux de la naïveté, de la méconnaissance en secourisme ou de l’abus de confiance de nombreux distributeurs de ces équipements. Evidemment, alors que les différences de prix entre les modèles sont extrêmement faibles, le choix se porte trop souvent sur le moins disant, en dehors de toute considération technique et surtout de réflexion sur les aspects organisationnels de son acquisition. Résultat, il s’agit le plus souvent d’un formidable gâchis des rares ressources des collectivités, d’une regrettable perte d’opportunité à sauver des vies et d’une dilapidation supplémentaire des impôts… Pourtant, il suffirait de peu pour bien faire et pour transformer cet investissement en formidable outil de resserrement du lien social et d’amélioration de la santé publique. https://restenvie.com/
La « chaine de survie », point central du dispositif
Petit rappel : pour sauver une victime d’arrêt cardiaque il faut immédiatement appeler les urgences en se localisant, commencer le massage cardiaque et trouver un défibrillateur…en état de marche. On appelle cette suite de gestes « la chaîne de survie » résumée par 3 mots « Appeler, Masser, Défibriller ». Il faut impérativement avoir commencé le massage cardiaque pendant les 3 premières minutes sous peine de voir les chances de survie sans séquelles neurologiques augmenter considérablement. Après 10 minutes, il n’y a presque plus aucune chance de la sauver.
Vous êtes seul et ne voyez pas d’équipement? massez!
Si le témoin est seul, il doit compter uniquement sur l’aide que pourront lui procurer les urgentistes par téléphone. Il ne se servira d’un défibrillateur que si celui-ci est à portée de vue. S’il n’est pas seul, et si un défibrillateur proche peut être localisé, un autre témoin partira chercher l’appareil. Le massage cardiaque ne doit surtout pas être interrompu plus de 10 secondes.
S’il n’y a pas de défibrillateur à proximité, les témoins doivent se relayer pour effectuer ce geste simple mais fatiguant jusqu’à ce que les professionnels des urgences arrivent et prennent le relais.
Des résultats encore très insuffisants
A ce jour, quelques 7% des victimes d’arrêts cardiaques sont sauvées. C’est peu. Si la chaîne de survie est scrupuleusement respectée, les chances de survie sans séquelles dépassent les 30%, voir plus.
Premier frein : le manque d’éducation et de formation continue au secourisme
Dans un pays ou moins de 25% des habitants ont été confrontés de près ou de loin, et plus ou moins récemment, à une formation en secourisme, la réaction doit dans l’idéal être un réflexe. Mais ne rêvons pas, ce n’est pas parce qu’un secouriste a participé quelques mois si ce n’est quelques années auparavant, à une formation SST ou PSC1 qu’il sait réagir rapidement et efficacement.
Une formation ne suffit pas
Même si la formation est récente, le secouriste confronté à un arrêt cardiaque est soumis à un stress intense qui peut annihiler sa bonne volonté. C’est la raison pour laquelle il est impératif non seulement d’élargir la formation au secourisme au plus grand nombre de nos concitoyens mais aussi de mettre en place un programme de révision des connaissance et de simulations régulières que permettent désormais les nouvelles technologies avec une efficacité croissance avec le développement de la réalité virtuelle.
Deuxième frein à l’utilisation des défibrillateurs, la nature et la qualité de la signalétique.
Là encore, il semble que le bon sens ait échappé aux décideurs de l’arrêté ministériel du 16 août 2010 imposant une signalétique qui se limite à des dispositions graphiques certes facilement reconnaissable mais totalement insuffisante à informer efficacement les utilisateurs potentiels d’un défibrillateur. https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2010/8/16/SASP1021169A/jo
Il est évident, et il suffit à n’importe quel observateur de se placer devant un coffret dont la signalétique se résume aux mot « DAE » ou « Défibrillateur » et de demander aux passants :
1) Ce qu’est l’appareil et à quoi il sert
2) Comment il fonctionne
3) Comment il réagirait si quelqu’un s’effondrait devant eux
Pour se rendre compte que sauf exception, il y aurait une perte de temps le plus souvent vitale pour que l’appareil puisse sauver une vie.
Troisième frein à l’utilisation des défibrillateurs : l’absence de géolocalisation.
Dans la plupart des cas les défibrillateurs ne se trouveront pas à portée de vue lors d’un arrêt cardiaque. Il faut donc impérativement que lorsqu’un témoin appelle les urgences il puisse soit être guidé vers l’appareil, soit se le faire apporter. Il existe désormais plusieurs applications de secourisme qui permettent à la fois de localiser les défibrillateurs, d’appeler les urgences et de contacter automatiquement les secouristes volontaires. https://restenvie.com/psc1-sst-et-applications-secourisme/
Un grand besoin de bénévoles
Ces bénévoles se seront inscrits au préalable afin d’être joints par SMS ou téléphone pour intervenir bien plus rapidement que pourront ne le faire les pompiers ou les SAMU. En effet, selon le lieu de l’accident, les véhicules d’urgence peuvent se trouver soit géographiquement très éloignés du lieu de l’accident soit occupés à d’autres priorité, soit gênés par des conditions de Traffic extrêmement dense.
Notez que ce n’est pas parce qu’un accident se produit près d’une caserne de pompiers ou d’un hôpital que l’intervention sera systématiquement plus rapide. Tous les véhicules peuvent avoir été mobilisés et être indisponibles…
La loi du 28 juin 2018 impose la géolocalisation mais…
Le Président de la République et la demi-douzaine de ministres qui ont signé cette loi on expressément prévu la création d’un un registre national des défibrillateurs sans en préciser la nature et le mode de gestion.
Si le registre est ouvert à tous, il faut le contrôler
Laisser ce registre ouvert à tous peut être un bonne initiative, si, et seulement si, l’organisme administrateur du registre ait, avant de valider l’inscription les moyens
– d’identifier le détenteur et les référents chargés de surveiller ce dispositif médical,
– d’imposer aux détenteurs de l’informer en cas de déplacement ou d’indisponibilité de l’équipement
– de mettre en place un outil de surveillance de la durée de validité du matériel (un délai correspondant à la garantie fabricant, éventuellement rallongée de quelques années.), et la date du dernier contrôle visuel ou de la dernière maintenance.
A ce jour, seule l’Association pour le Recensement et la Localisation des Défibrillateurs ARLOD, effectue ce travail sérieux http://arlod.fr
Faute de système, l’Etat se verra dans l’obligation d’imposer une maintenance sur site obligatoire, un système comparable à celui imposé aux détenteurs d’extincteurs.
Quatrième frein, l’absence de vigilance des pouvoirs publics en Europe
En ce 27 novembre 2018, France 2 s’apprête à dénoncer dans son magazine Cash investigation les insuffisances de contrôle des dispositifs médicaux. L’industrie des défibrillateurs ne fait pas exception. C’est ainsi que l’on peut voir en France et dans le reste de l’Europe se développer des marques de défibrillateurs peu fiables, peu contrôlés. Cela signifie pour l’acheteur un risque élevé de dysfonctionnement, voir de non fonctionnement au moment où une vie sera en jeu. Cela signifie ainsi une perte d’opportunité de sauver une victime d’arrêt cardiaque. http://www.leparisien.fr/culture-loisirs/tv/france-2-comment-se-batit-un-cash-investigation-27-11-2018-7954659.php
A ce jour, seuls les Américains contrôlent
A ce jour, il faut bien constater que seule l’américaine Food and Drug Administration ou FDA est le seul organisme qui ait mis en place un système efficace de surveillance à la fois de la fabrication et de l’état du parc de défibrillateurs. Obtenir sa certification est autrement plus difficile qu’une autorisation de distribution en Europe. En ce qui concerne ce secteur, la norme CE n’entraîne aucune vérification sérieuse et aucune sanction contre ceux qui fabriquent et distribuent des équipements non fiables ou sous performants…
…et sanctionnent
Aux Etats-Unis, plusieurs fabricants référencés, et non des moindres, se sont vus dans l’obligation, soit par initiative propre, soit sous pression de la FDA de rappeler des lots de défibrillateurs ou de pièces, soit d’interrompre leur production pour apporter des améliorations. Medtronic Physio Control en 2010 puis Philips Medical, en 2017 ont du interrompre leur production et récupérer des lots de défibrillateurs. La FDA impose aux fabricants une vigilance internationale et sa puissance et son pouvoir de sanction a une dimension extraterritoriale. Cela signifie qu’un fabricant effectuant une opération de rappel doit notifier les autorités sanitaires, les distributeurs et les clients où qu’ils se trouvent.
En Europe aucune marque n’a jamais été sanctionnée.
Cinquième frein lié massage cardiaque des femmes : le risque d’accusation d’agression sexuelle
Deux études publiées lors du congrès de l’AHA trnu à Chaicago début novembre mettent en évidence le fait que les femmes victimes d’arrêts cardiaques bénéficient beaucoup moins de massages cardiaques de la part de passants que les hommes. https://www.sciencedaily.com/releases/2018/11/181105105453.htm
Effet « me too »?
La première étude vient souligner que les passants auraient peur soit de blesser les femmes soit d’être accusés de comportements incorrects. Elle a été conduite sous la direction du docteur Sarah M Perman, professeur en médecine d’urgence à l’école de médecine de l’Université du Colorado à Denver.
Ce résultat est confirmé à la fois par une étude ainsi qu’un test de réalité virtuelle.
Les 54 participants à cette étude ont fait état de craintes
- – d’avoir comportement inapproprié
- – de faire l’objet d’une accusation d’agression sexuelle
- – de causer des blessures à cause de la physionomie féminine (peur de causer des douleurs et lésions aux seins)
- – de commettre une erreur de diagnostic, les femmes étant a priori moins victimes d’arrêts cardiaques et d’être confronté à des simulatrices…
- – d’avoir à effectuer des gestes plus compliqués, la physiologie des femmes pouvant être différentes de celle des hommes, la poitrine des femmes étant un obstacle physique à la pratique du massage cardiaque.
Selon le professeur Perman, ces freins empêchent potentiellement la réalisation de la réanimation cardio-pulmonaire ou peuvent retarder sa pratique, et d’insister sur le fait que la RCP doit être pratiquée sur toutes les victimes sans considération de leur sexe ni de leur race ou de leur « ethnicité ».
Les freins ne sont pas que sexuels ou sexués…
Dans cette étude, les résultats ne varient presque pas entre les hommes et les femmes même si les femmes répondent un peu plus qu’un des principaux freins serait leur crainte de causer des blessures
Le professeur Perman insiste que la pratique de la RCP doit être la même et être effectuée avec la même force sur une femme que sur un homme. https://newsroom.heart.org/news/two-novel-studies-explore-why-women-receive-less-cpr-from-bystanders
La seconde étude a été dirigée par le docteur Marion Leary, directrice du service des recherches pour l’innovation au Centre pour la Science de la Réanimation à l’Université de Pennsylvanie.
Mais au final, les freins reviennent toujours au manque d’éducation au secourisme
Cette étude à laquelle ont participé 75 personnes, toutes des adultes, testait leur réaction s’ils étaient confrontés à une situation mettant en danger mortel une victime. La scène représentait un centre-ville actif, avec du Traffic routier et passant ou un piéton tomberait inanimé et ou quelqu’un se mettrait à hurler pour demander de l’aide. Un mannequin avait été caché dans l’environnement réel et n’était apparu que lorsque la scène virtuelle l’avait fait apparaître, permettant aux participants de pratiquer la RCP. L’exercice bien qu’insuffisant pour permettre des conclusions définitives, a fait apparaitre que lorsque la victime était une femme, les réactions étaient différentes.
L’enquête révèle les craintes des « aidants ». Celle d’un contact inapproprié, d’abord, est partagée aussi bien par les hommes que par les femmes. Vient ensuite la crainte d’une accusation d’agression sexuelle, suivie par la peur de causer des dommages physiques.
D’autres raisons relèvent d’a priori à l’égard des femmes. La poitrine serait, dans l’imaginaire commun, un obstacle à la réalisation d’un massage cardiaque. Il existerait par ailleurs une mauvaise reconnaissance des symptômes chez une femme liée à l’idée que les femmes ne font pas d’arrêt cardiaque ou qu’elles ont tendance à dramatiser, voire à simuler la gravité du mal qui les touche. Face à ces peurs bien réelles, « il est important de réaliser que le massage cardiaque sauve des vies et devrait être systématique pour toute personne qui s’effondre quel que soit son genre, sa race ou son ethnicité », insiste le Dr Sarah M. Perman, l’un des auteurs de l’étude.
SIXIEME FREIN, la peur de mal faire ou de voir sa responsabilité engagée en cas d’échec
C’est un des freins principaux au déploiement des défibrillateurs dans les résidences. Ce frein peut être immédiatement levé car il est la conséquence de la méconnaissance du décret de mai 2007 autorisant toute personne non médecin à se servir librement d’un défibrillateur https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000278696&dateTexte=&categorieLien=id.
A contrario, quelqu’un refusant de porter secours peut être mis en cause pour non assistance à personne en danger.
« Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
Sera puni des mêmes peines quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours.
Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende lorsque le crime ou le délit contre l’intégrité corporelle de la personne mentionnée au premier alinéa est commis sur un mineur de quinze ans ou lorsque la personne en péril mentionnée au deuxième alinéa est un mineur de quinze ans. »
D’autres freins pourraient être ajoutés à cette liste: le coût, l’obligation dans les entreprises… Ils seront analysés dans un prochain article